dimanche 24 avril 2011

A bord du Roi-des-Belges


Ce n'est pas vrai, je ne suis pas à bord du Roi-des-Belges, et je ne suis pas Joseph Conrad en 1890 au service de l'Etat Indépendant du Congo.
Mais je remonte le fleuve Congo, à bord du Kalamu, dernier bateau de l'ONATRA effectuant cette liaison commerciale entre le port de Banana sur le petit littoral atlantique de la RDC et Boma, quelques 70 km plus en amont sur le fleuve.

Plus grand monde ne prend ce bateau, parce qu'il y a la piste, et même la route bitumée ensuite, et c'est plus rapide, alors le Kalamu, vieille vedette rouillée pleine de charme, se contente des habitants qui veulent rejoindre ou quitter les quelques villages de pêcheurs qu'il dessert tout au long des 7 heures que dure la remontée.


Il pleut, évidemment, lorsque nous quittons Banana, et le fleuve est large (de 12 km) à l'embouchure. Il pleut, le fleuve est immense, et la forêt la plus dense occupe les deux rives du fleuve. Je ne suis pas Joseph Conrad, mais j'ai l'impression d'être l'acteur d'un vieux film d'aventure américain.

Il y a deux classes, la 1ère, à l'avant, possède des fauteuils rembourrés, et la deuxième, à l'arrière, des bancs en bois. Il y a aussi un restaurant, c'est à dire une toute petite cuisine qui pue dont le cuistot de mauvaise humeur refuse de se faire prendre en photo, et deux chiottes, c'est à dire deux trous dans la tôle à la poupe et il faut jeter un seau, relié au pont par une corde, dans le fleuve pour s'en servir comme chasse d'eau.
Le Kalamu a deux capitaines, un barreur, un cuistot, plusieurs mécanos et plusieurs matelots. Tous - sauf le mauvais coucheur de cuistot - sont ravis de me faire visiter leurs quartiers, soit le poste de pilotage en haut du bateau, et la salle des machines, avec ses deux gros moteurs de 375 cheveaux chacun, en bas.





Je ne suis pas en 1890, et la RDC n'est plus l'EIC, mais le Kalamu avance lentement, et, si on excepte les immenses cargos et porte-containeurs qui stationnent régulièrement le long du fleuve en attendant qu'une place se libère dans les ports de Boma ou de Matadi, je ne suis pas sûr que le décor ait beaucoup changé depuis l'époque du gars Joseph.






J'ai dit qu'il y avait deux classes, l'une à 15 dollars, l'autre à 10 dollars, mais ce n'est pas vrai, il n'y en a qu'une, et ce n'est qu'à la dernière heure du voyage, un peu avant Boma que l'équipage prie les passagers de regagner la classe correspondant au billet acheté.


Ca sent la bouffe, le diesel, il y a des mamans qui dorment sur les banquettes, des poules qui gueulent un peu, des enfants qui pissent sur le pont, des pêcheurs qui comparent leurs marchandises, et une petite famille de mundélés, ce qui est quand même rare donc amusant, alors on vient leur parler.
Le fleuve est immense, immense, il pleut, la forêt semble impénétrable et vide de toute vie, on est peut-être dans un film de Werner Herzog. L'agitation du départ passée, il y a une sorte de silence dans le bateau, les yeux se perdent dans la pluie équatoriale, l'eau est partout, sous le bateau, dans le bateau, autour du bateau.

Un type essaie de me convaincre de lui donner mes ray-bans, "par gentillesse", et il est un peu pressé "parce qu'on arrive". Mais on arrive où ? Il n'y a que le fleuve, la pluie, la forêt. Mais voilà que le Kalamu pousse quelques coups de sirène, et se rapproche de petites îles perdues du fleuve, et voilà ensuite que des pirogues sortent de derrière le rideau de pluie, et rament à tout-va vers la coque rouillée du bateau, et les pagayeurs hèlent les passagers, l'équipage, brandissent des gros poissons, des nasses à écrevisses, leurs pirogues se collent au bateau, manquent de chavirer, des mains sortent des hublots, on échange des paroles, de l'argent contre de la poiscaille, et puis d'autres pirogues arrivent, et ce sont les villageois qui veulent monter à bord pour se rendre à Boma, et des passagers du Kalamu veulent descendre dans les pirogues pour se rendre au village puisque c'est le but de leur voyage.




Le village ? Quelques cases cachées dans les arbres, devant lesquelles une petite population s'est réunie : c'est que le passage du Kalamu est forcément un évènement, puisque c'est le seul lien avec le reste du pays.






Les habitants, dans ce village comme dans les trois autres où nous ferons escale, sont bien contents de notre venue, ils vont ainsi vendre leurs écrevisses, leurs poissons, ou même une antilope pour le mundele qui les fait bien rire à prendre cette vieille coque rouillée au lieu de rouler sur la piste dans son 4X4 rutilant, et puis il y a ceux qui débarquent avec des marchandises de la ville (lecteurs de cd, magnétoscopes - mais il n'y pas d'électricité dans les villages !), et ceux qui en profitent pour prendre des nouvelles.












Puis le bateau redonne un coup de sirène, et s'éloigne dans la pluie, dans le désert liquide, et tout redevient silencieux, il n'y que le pont qui ait changé, encombré désormais des produits du village que l'on vendra dans les marchés de Boma.

Enfi Boma apparait, il fait beau, les navires modernes patientent devant le port, et j'ai retrouvé la RDC de 2011.



2 commentaires:

Matt a dit…

Que c'est vivant !

Ben a dit…

C'est superbe.
Belles réminiscences d'Aguirre et superbe photo de la barque (et les femmes sous le parapluie).

Merci de nous avoir donné envie d'aller faire ce tour-là :)