mercredi 18 avril 2012

Arnaque à Addis


Le type m'aborde alors que je déambule sur Meskal Flowers. Il s'appelle Salomon, il bosse à l'hôtel d'où je sors, il est plutôt sympa, on cause de l'Ethiopie, de l'Afrique de Kinshasa. J'ai du bol, il me dit, aujourd'hui, c'est l'anniversaire de la mort du roi (je n'ose pas demander lequel, je suppose qu'il s'agit d'Hailé Selassié), et il y a plein de festivités en son honneur. Tiens, ça ne me dit pas d'aller voir des danses traditionnelles ? Justement y a un truc pas loin. Je dis pourquoi pas, après tout, j'ai mon dimanche à tuer puisque Nico D. ne se manifeste pas (enfin, c'est surtout que j'ai perdu son numéro de téléphone).
On marche assez longtemps, toujours en devisant agréablement, puis on arrive à une sorte de venelle mal pavée qui monte vers une zone de bidonvilles. Derrière un portail en fer, il y a une petite cour aux murs tapissés de bois, à gauche, derrière un rideau, une petite salle où deux-trois Ethiopiens boivent des coups, mais c'est à droite qu'on va, dans une salle fermée, où une petite dizaines de jeunes filles mal déguisées en danseuses traditionnelles nous attendent.
On s’assoit dans une sorte de canapé, les filles se dandinent gauchement, je ne sais pas trop quoi dire, j'applaudis mollement, je paie un verre à Salomon qui me dit qu'il s'agit d'étudiantes qui font ça exceptionnellement aujourd'hui. Je suppose que la piètre qualité de la prestation s'explique par son caractère fondamentalement amateur.
Ensuite, quelques filles viennent chacune leur tour discuter avec moi. J'essaie d'en savoir un peu plus sur leurs études (marketing, design...) mais ça n'a pas l'air de trop leur dire de parler de leurs études.
Je sens confusément que ces jeunes filles ne sont pas exactement des étudiantes, et qu'en fait de fête traditionnelle, je suis plutôt dans une sorte de boxon un peu pourri. Les filles me demandent de leur payer à boire. Bon, ok, je me dis, après tout, je vais me casser dans quelques minutes, je ne vais pas faire le chien.
Tout le monde a désormais une bouteille à la main, la musique éthiopienne a cessé, les filles préfèrent mettre de la "Congo music" (comprendre : du ndombolo), et je commence sérieusement à me faire chier, en plus de déprimer un peu. Je dis merci - merci Salomon, merci les filles, c'était great, mais là, je dois y aller. Allez hop, j'interpelle le taulier, je paie et je me casse.
On me présente la note, c'est quelque chose comme 15 000 birrs. Ok, je viens de changer 50 dollars, je paie rubis sur l'ongle, à part que je me perds un peu dans le change dollars/birrs, heureusement Salomon est là, il chope mes biftons et les compte, et me dit voilà, la balance est de 10 000 birrs. Ok, j'attends donc la monnaie. Ah non, c'est pas eux qui me doivent 10 000 birrs, c'est moi qui les dois encore.
Soudain je comprends l'arnaque. Je bafouille un peu, quoi, c'est quoi ce truc, je vais pas payer quelque chose comme 100 euros pour deux bières et 6 pschits orange, ça va pas non ? Le taulier me dit, si, il faudra bien, est-ce que j'ai des garanties, une montre, un téléphone, en attendant que je revienne payer le reste ?
J'ai pas de garanties, je suis diplomate monsieur, et je vais appeler les flics, vous allez voir ça, putain, je viens de Kinshasa moi, je me fais pas avoir comme ça.
Je dis tout ça en broken english tout en sortant du bouge, je suis ulcéré, pas tant après ces escrocs qu'après moi-même : tout depuis le début puait l'arnaque de base pour touristes, et je me suis fait avoir comme un bleu, tu parles d'un habitué des grandes métropoles africaines.
Je marche dans la rue en fulminant, j'envoie chier un mec qui veut me taxer une clope, et d'ailleurs, j'en ai plus de clopes, je vais en acheter à la boutique du coin. Manque de bol, la réalité de ma situation me revient dans la gueule, j'ai plus un radis puisque les malfrats du bar à putes m'ont tout piqué.
J'enrage, je suis au milieu de la ville, je ne sais même pas où, j'ai plus un centime en poche, et pas une clope à fumer.
Je fais demi-tour, je retrouve la venelle pavée, la porte en fer, je tambourine, le taulier m'ouvre complétement estomaqué, je lui gueule dessus : give me back my money to buy cigarettes ! I dont have any cigarettes because you've stolen all my money, give me back my money !
Un grand type, très maigre, assez vieux, avec une gueule coupée au couteau se lève, il vient vers moi, il me dit easy easy, we're all human beings, et me file des biftons. Je dis un peu calmé mais pas trop "Even in Kinshasa they dont do that, even in Kinshasa !" et j'ajoute "Languet ton momon".
Puis je pars acheter mes clopes.
Ca va un peu mieux après, j'ai mes clopes, un vieux monsieur très digne qui parle français (il me dit qu'il a étudié à Rouen, il y a des années de cela) me met sur le chemin de l'hôtel. Quand j'y arrive, je dis à la réceptionniste que je me suis fait arnaquer par Salomon qui travaille chez eux. Elle est étonnée, me demande si je suis sûr que c'est bien Salomon, et me montre une photo de Salomon, et je dis oui, c'est lui, ce fils de chamelle qui m'a volé mes 50 dollars (moins le prix d'un paquet de clopes).

Après, Nico D réapparait, m'amène chez lui, il y a plusieurs personnes qui sont là, dans son magnifique jardin (dont Matt ex kinois), on broute du Khat, on parle de tout et de rien, c'est sympa, je raconte mon histoire, ça les fait rire, il parait que c'est un classique de l'arnaque à Addis.

Plusieurs jours après, un type de l'hôtel vient me voir et me demande si je le reconnais. Je dis non, mais je sais ce qu'il va me dire : il s'appelle Salomon, et j'ai dit à la direction qu'il organisait des arnaques. Je suis un peu emmerdé, ce type ressemble *un peu* à mon Salomon, mais ça n'a pas trop l'air d'être lui. Le vrai Salomon m'explique que je l'ai mis dans la merde, qu'il risque de perdre sa place avec cette histoire, et qu'il faut que je dise au chef de la sécurité que ce n'est pas lui, mais quelqu'un d'autre qui s'est fait passer pour lui. Le voilà, le chef de la sécurité, costard cravate, il me dit "Alors c'est lui ?". Je dis que je ne crois pas. Ils me proposent de retrouver le lieu du crime et qu'on y aillent ensemble. Je dis ok (j'ai envie de dire oh oui, chouette, ça va être très excitant, mais je me retiens).
La bagnole de l'hôtel se gare en face de la venelle pavée. Il fait nuit, on regarde en cachette le portail en fer. On se croirait dans un film de gangsters, tout le monde est très tendu. "Tu es sûr que c'est ici" me dit le chef de la sécurité, je dis oui, sûr. Surtout qu'une jeune fille vient de sortir et que je reconnais l'étudiante en design. Bon, on y va, je demande. Les deux mecs de l'hôtel sont moyennement chauds, mais disent ok quand même.
Je pousse le portail, la cour est vide. Le grand type maigre à la gueule coupée au couteau sort de derrière le rideau. Il me voit. Il blêmit. Il doit se demander ce que je fous là.
Je lui dis "Vous me reconnaissez ?", il dit "Non, je viens d'arriver de province". Il regarde les deux mecs de l'hôtel derrière moi (qui ne piperont mot pendant toute la rencontre), il est très nerveux, très très nerveux, il leur dit des trucs en amharique puis repasse à l'anglais avec moi.
J'essaie vaguement de dire haha on fait moins le malin maintenant que je suis venu avec mes potes de la sécurité, mais en fait je me contente de lui dire, voilà, je voulais montrer l'endroit à ces personnes. Le grand maigre est si nerveux que je me demande s'il ne va pas sortir un couteau. Il me dit qu'il ne voit pas de quoi je parle.
Il n'y a pas grand chose à faire, le type nie, il est sans doute pas prêt à se jeter à mes pieds en pleurant et en criant pardon pardon mi fra pli, les deux mecs de la sécurité sont très mal à l'aise, sans doute parce qu'on est en plein dans un coin de malfrats et qu'ils n'ont pas envie de se faire suriner, et moi, gros couillon qui ne connais rien à rien de cette ville et de ce quartier, je me rends compte qu'il vaut mieux se casser maintenant.
En partant, le grand maigre à la gueule coupée au couteau me dit "Bon voyage" en français dans le texte. Je me retourne, et je lui dis "comment vous savez que je parle français si c'est la première fois que vous me voyez ?".

Après, on est dans la voiture, le vrai Salomon, le chef de la sécurité de l'hôtel et moi. Ils me disent qu'ils vont signaler toute l'histoire à la police, et qu'ils sont désolés. Je dis qu'il n'y a pas de quoi, que j'ai payé 50 dollars un petit frisson éthiopien, ça me va.

3 commentaires:

Les éthiopiques anonymes a dit…

Ha ha j'avais pas eu l'épilogue ! Très bon ce petit passage dans le Bronx Addisien !

BM a dit…

C'EST UN PEU COMME SI ON AVAIT FUSIONNÉ DEPARDIEU ET PIERRE RICHARD, DANS UN REMAKE DE DE LA CHÈVRE EN ÉTHIOPIE.

Anonyme a dit…

ou rabbi jacod