Depuis quelques albums, Thierry Caro m'envoie des critiques jubilatoires. Je ne sais pas si Thierry aime ou pas mes histoires, au final, mais je m'en fiche, ce qui m'intéresse par dessus tout, c'est la qualité de sa lecture : il s'empare du récit, de son fonctionnement, et brode dessus ses propres envies, ses attentes frustrées, développe les motifs esquissés, suggérés (ou pas). En fait, Thierry Caro fait une vraie lecture créative de mes livres - des livres en général - et de ce point de vue, devrait servir de modèle à tous les critiques de bd que l'on trouve sur le net.
Voici son mail, reproduit in-extenso :
Le choix du cadre est parfait. L'idée de placer l'action à Carthage
alors que la cité va tomber ne pouvait que me plaire : je suis un grand
joueur de Civilization et tout le vocabulaire historique, tactique et
stratégique qui vient avec une histoire comme celle-ci me plaît : il y a
un siège, des responsables politiques aux titres incroyables, des
intérêts divergents. Tout cela est exotique, passionnant et très bien
rendu par le dessin et les couleurs. En bref, l'ambiance générale est le
grand point positif de l'album. J'avais d'ailleurs particulièrement
aimé, dans le même genre de contexte mais pas exactement, puisque nous
sommes alors en Egypte quelques siècles plus tard, le film espagnol Agora, que je te conseille vivement si tu ne le connais pas.
L'idée de placer dans un tel cadre un scénario de heist movie n'est pas mauvaise, je dirais même bonne, mais il y a quand même deux déceptions.
La
première, c'est la gestion un peu lâche de la mécanique propre à ce
genre de scénario. Je m'explique. Dans ce genre d'histoires, il y a
toujours au moins une séquence où le plan des voleurs est exposé et une
autre où ils le mettent en branle et passent à l'action. Or,
l'exposition du plan des cambrioleurs dit souvent tout de la suite : si
lorsque le plan est présenté, on voit d'avance et longuement ce qui
devrait se passer si tout fonctionne, alors on sait que ça ne va
probablement pas fonctionner, car le scénariste ne va pas montrer deux
fois la même chose. Ici, justement, tu montres tout d'avance, pages 42
et 43. On sait donc que le plan va foirer, mais on s'attend à voir la
différence, le détail qui fait tout basculer. Le plaisir du lecteur est
là : comparer le prévu et l'arrivé, l'avant et l'après, dans un jeu des
sept erreurs qu'il tient pour édifiant. Car lui aussi, après tout, veut
connaître la recette pour voler un trésor, et ce qui peut lui apprendre
des erreurs à ne pas commettre le fascine. Or, ton album ne nous propose
jamais complètement la vue de la mise en oeuvre effective du plan. La
ville est attaquée, et on n'a dès lors pas l'occasion de voir la
variation entre ce qui était annoncé et ce qui a eu lieu. Dans un sens,
c'est original, mais c'est quand même un peu frustrant.
Le second
problème, plus important, et plus tôt dans l'album, est de voir
l'histoire se transformer en casse après avoir commencé sur une autre
promesse. En effet, quand j'ai lu les premières pages, j'ai tout de
suite vu la triple référence aux Mille et une Nuits : le contexte
oriental, la bande de voleurs et la jeune femme qui conte à son
violeur potentiel des histoires incroyables pour qu'il épargne sa
virginité et sa vie. Vu que c'est pour moi une référence absolue, à
laquelle d'ailleurs je réfléchis beaucoup, ça ne pouvait pas mieux
débuter. Mais ça posait aussi un horizon d'attente : je m'attendais à ce
que le personnage de Tara s'emploie pendant tout le reste de l'album à
inventer sans cesse de nouvelles histoires pour mieux repousser son
prétendant gaulois. Or, elle ne prend pas vraiment en charge la
narration après ça, ce qui l'empêche de devenir le narrateur déficient
qu'elle était pourtant superbement programmée à devenir. Ainsi, sa
version des faits - "je vais cambrioler le temple" - est confirmée par
le vieillard qui le garde. Elle aurait dû être plus complexe que ça et
avoir menti.
Alors certes, on voit bien par le dessin de
certaines de ses attitudes que ses véritables intentions n'ont pas
forcément été toutes révélées dans ce premier tome, qu'elle a son propre
plan, mais en attendant, les potentialités d'un personnage truqueur
pour les autres héros comme pour le lecteur sont un peu platement
abandonnées dans ce volume dont la narration devient ensuite plus
linéaire. Je veux dire par là qu'on n'a finalement pas besoin de
relecture alors que tout annonçait une mystification.
Je disais que j'ai beaucoup réfléchi aux Mille et Nuits.
Voici une idée qui me paraît capitale à ce stade : récit et viol sont
intimement liés. Non seulement parce que de nos jours un viol consommé
donne souvent lieu à la confrontation de deux récits devant la police ou
la justice, mais aussi parce qu'avant même qu'il n'ait lieu la victime,
comme Shéhérazade, peut lutter par des récits pour préserver son
intégrité, en l'occurrence sa virginité. Cette dernière, dans les Mille et une Nuits,
est un enjeu. Ici, tu fais également de la virginité de Tara un enjeu.
Mais tu n'exploites pas spécialement cet enjeu en le réduisant ensuite à
un simple mécanisme comique : Horodamus est obsédé. Dommage.
Il
aurait selon moi mieux valu jouer de ça sérieusement. Que Tara raconte
des bobards, pour continuer d'être une cousine littéraire de
Shéhérazade, luttant pour sa vertu. Et puis surtout mieux filer une
métaphore déjà frissonnante entre sa pénétration sexuelle et celle du
temple dont elle devient la gardienne, que finalement les héros essaient
aussi de pénétrer.
Car tout était là pour ça : la séduction de
Tara par Horodamus, l'assaut du temple par les cambrioleurs et même le
siège de la ville par les légions romaines sont in fine du même
ordre, des tentatives pour entrer de force et profaner. En bref, il y
avait là de quoi créer un vertige encore plus grand
qu'actuellement en activant un incroyable emboîtement. Le viol d'une
vierge par un cambrioleur dans une ville assiégée, c'est finalement un
viol dans un viol dans un viol. Principe sans fond qui expliquerait
pourquoi Carthage est aujourd'hui en ruines et, puisque tu y es né, ne
manquerait pas de fournir matière à réflexion au psychanalyste : cette
structure narrative pose comme un problème la question de ton origine
véritable. Est-elle carthaginoise si tout à Carthage n'est que viol
étranger ? Question d'autant plus vertigineuse que les mêmes
interrogations relatives à la parenté de l'enfant sont valables dans
l'autre région d'origine du récit, cette Réunion où le métissage est roi
et qui a peut-être inspiré à l'habile scénariste ces quelques dialogues
où l'esclavage des personnages est évoqué, d'ailleurs pour être
lui-même questionné.
En tout cas, je remarque que cette réflexion
sur l'origine que je crois déceler, tu refuses de la rendre trop
violente. Il y a de beaux combats, certes, mais toutes les formes de
profanation mises en scène échouent : le viol de la jeune femme, le
cambriolage du temple et le siège de la ville. Tu choisis l'échec de la
gauloiserie qu'incarne le Gaulois face à la pruderie que symbolise la
jeune femme et la défaite de la Famille dysfonctionnelle que
caricaturent les voleurs contre le pur célibat que représentent les
vestales. Enfin, la sournoise attaque des Romains achoppe contre la
défense de l'éléphant, pour le coup très littérale, mais pas sans que
cette dernière, symbole de virilité, soit elle-même anéantie. De sorte
que dans le titre Les Voleurs de Carthage l'absence d'un I bien
phallique est finalement puissamment motivée. Tu annonces toute
l'intrigue dès la couverture : quels qu'ils soient, les v(i)oleurs de
Carthage ne passent pas.
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7 commentaires:
Zadore ce que vous faites.
T'es ready pour un heist, Apolo ?
Le choix du cadre est parfait. L'idée de placer l'action à Carthage alors que la cité va tomber ne pouvait que me plaire : je suis un grand jouisseur de et tout le vocabulaire historique, tactile e qui vient avec une histoire comme celle-ci me plaît : il y a un bain de siège, des responsables politiques aux bites incroyables, des verges. Tout cela est érotique, passionnant et très bien tendu par le dessin et les couleurs. En bref, l'ambiance bandante est le grand point positif de l'album. J'avais d'ailleurs particulièrement aimé, dans le même genre de contexte mais pas exactement, puisque nous sommes alors en Egypte quelques siècles plus tard, le film espagnol Ajouira, que je te conseille vivement si tu ne le connais pas.
L'idée de placer dans un tel cadre un scénario de fuck movie n'est pas mauvaise, je dirais même bonne, mais il y a quand même deux déceptions.
La première, c'est la gestion un peu lâche de la mécanique propre à ce genre de scénario. Je m'excite... Dans ce genre d'histoires, il y a toujours au moins une séquence où le plan des baiseurs est exposé et une autre où ils le mettent en branle et passent à l'action. Or, l'exposition du plan des sodomiseurs dit souvent tout de la suite : si lorsque le plan est présenté par derrière, on voit d'avance et longuement ce qui devrait se passer si tout fonctionne, alors on sait que ça ne va probablement pas fonctionner, car le scénariste ne va pas montrer deux fois la même pénétration. Ici, justement, tu montres tout d'avance, pages 42 et 43. On sait donc que le plan va foirer, mais on s'attend à voir la différence, le détail qui fait tout basculer, une bite dans l'orielle...etc. Le plaisir du lecteur est là : comparer le prévu et l'arrivé, l'avant et l'après, dans un jeu des sept orifices qu'il tient pour édifiant. Car lui aussi, après tout, veut connaître la recette pour violer un trésor, et ce qui peut lui apprendre des erreurs à ne pas commettre le fascine. Or, ton album ne nous propose jamais complètement la vue de la mise en oeuvre erective du plan. La vulve est attaquée, et on n'a dès lors pas l'occasion de voir la violiation entre ce qui était annoncé et ce qui a eu lieu. Dans un sens, c'est original, mais c'est quand même un peu frustrant...
Le second problème, plus important, et plus tôt dans l'album, est de voir l'histoire se transformer en débandade après avoir commencé sur une autre promesse d'érection. En effet, quand j'ai lu les premières pages, j'ai tout de suite vu la triple référence aux "Mille et une Nuits de Vagina" : le contexte oriental, la bande de voleurs en sodomites et la jeune femme qui conte à son violeur potentiel des histoires incroyables pour qu'il épargne sa virginité et sa vulve fleurie. Vu que c'est pour moi une référence absolue, à laquelle d'ailleurs je réfléchis beaucoup (d'une main), ça ne pouvait pas mieux débiter. Mais ça posait aussi un horizon d'attente : je m'attendais à ce que le personnage de Tara La Gouine s'emploie pendant tout le reste de l'album à inventer sans cesse de nouvelles histoires anales pour mieux repousser son prétendant gaulois. Or, elle ne prend pas vraiment en charge la pénétration après ça, ce qui l'empêche de devenir la maitresse dominante qu'elle était pourtant superbement programmée à devenir. Ainsi, sa version des faits - "je vais t'ouvrir mon temple pour que tu le lèches" - est confirmée par le vieillard bandard qui le garde. Elle aurait dû être plus perverse que ça et avoir menti.
Alors certes, on voit bien par le dessin poilu de certaines de ses attitudes que ses véritables intentions sadiques n'ont pas forcément été toutes révélées dans ce premier tome pour se branler un peu, qu'elle a son propre plan, mais en attendant, les potentialités d'un personnage suceur pour les autres héros comme pour le lecteur sont un peu platement abandonnées dans ce volume dont la narration devient ensuite plus lubrifiée. Je veux dire par là qu'on n'a finalement pas besoin de relecture alors que tout annonçait une masturbation sans fin.
Je disais que j'ai beaucoup réfléchi aux Mille et une verges. Voici une idée qui me paraît capitale à ce stade : récit et viol sont intimement liés. Non seulement parce que de nos jours un viol consommé donne souvent lieu à la confrontation de deux récits devant la police ou la justice, mais aussi parce qu'avant même qu'il n'ait lieu la victime, comme Shéhérazade, peut lutter par des récits pour préserver son intégrité, en l'occurrence sa virginité. Cette dernière, dans les Mille et une Nuits, est un enjeu. Ici, tu fais également de la virginité de Tara La Gouine un enjeu. Mais tu n'exploites pas spécialement ses orifices en le réduisant ensuite à un simple mécanisme érotique : Horo Danus est obsédé. Dommage.
Il aurait selon moi mieux valu jouer de ça sérieusement. Que Tara La Gouine raconte des bobards, pour continuer d'être une cousine littéraire de Shéhérazade, luttant pour sa vertu. Et puis surtout mieux filer une métaphore déjà bandante entre sa pénétration sexuelle et celle du temple dont elle devient la gardienne humide, que finalement les héros essaient aussi de pénétrer.
Car tout était là pour ça : la séduction de Tara La Gouine par Horo Danus, l'assaut du temple par les cambrioleurs sodomites et même le bain de siège de la ville par les fions romains sont in fine du même ordre, des tentatives pour entrer de force et profaner. En bref, il y avait là de quoi créer un vertige encore plus grand qu'actuellement en activant un incroyable emboîtement anal. Le viol d'une vierge par un cambrioleur dans une ville assiégée par derrière, c'est finalement un viol dans un viol dans un viol (extase) . Principe sans fond qui expliquerait pourquoi Carthage est aujourd'hui en ruines et, puisque tu y es né, ne manquerait pas de fournir matière à réflexion au psychanalyste : cette structure narrative pose comme un problème la question de ton origine véritable (on peut en parler au 06 07 45 67 89). Est-elle carthaginoise si tout à Carthage n'est que viol étranger ? Question d'autant plus vertigineuse que les mêmes interrogations relatives à la parenté de l'enfant sont valables dans l'autre région d'orifice du récit, cette Réunion où le métissage est roi et qui a peut-être inspiré à l'habile scénariste pervers ces quelques dialogues où l'obsession des personnages est évoqué, d'ailleurs pour être lui-même questionné.
En tout cas, je remarque que cette réflexion sur l'origine du fion que je crois déceler, tu refuses de la rendre trop violente. Il y a de belles sodomies, certes, mais toutes les formes de profanation mises en scène échouent : le viol de la jeune femme, le racolage du temple humide et le bain de siège de la fille. Tu choisis l'échec de la gauloiserie qu'incarne le Gaulois face à la puterie que symbolise la jeune femme ouverte et la défaite de la Famille dysfonctionnelle que caricaturent les violeurs contre le pur célibat que représentent les vestiaires chaudes. Enfin, la sournoise attaque sodomite des Romains achoppe contre la défense de "Pine d'éléphant", pour le coup très littérale, mais pas sans que ce derrière, symbole de virilité, soit lui-même ouvert. De sorte que dans le titre Les Voleurs de Carthage l'absence d'un I bien phallique est finalement puissamment motivée. Tu annonces toute l'intrigue dès la couverture : quels qu'ils soient, les v(i)oleurs de Carthage ne passent pas.
Je jouis sur la couverture sans pouvoir aller plus loin. Dommage.
j'en crois pas mes yeux!
JE ME SUIS DÉLECTÉ À LA LECTURE DE CE BEL OUVRAGE.
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