dimanche 29 novembre 2009

Fuck America et autres lectures

Il n'y a pas de librairie à Kinshasa - ou, s'il y en a, elles sont bien planquées. Il me reste un tout petit stock de bouquins à lire, et je comptais sur mes vacances de Noël à la Réunion (Noëëël sous les flamboyaaaants) pour faire le plein, et voilà pas que ma chère compagnie nationale réunionnaise (Air Austral donc) n'a plus une seule place disponible pour ma famille et moi. Grrr !
Pour me venger, je partirai passer Noël en Afrique du Sud. Il y a des librairies en Afrique du Sud, en plus. Malheureusement, je crains que les livres qu'on y trouve soient au mieux en anglais. Shit.
Sinonsa, j'ai lu quelques romans :

Fuck America de Edgar Hilsenrath


Jakob Bronsky, dont on imagine aisément qu'il est le double d'Edgar Hilsenrath, a survécu à la Shoah et a émigré en Amérique. Manque de bol, l'Amérique, c'est la merde : il vit comme un clodo, accumule sans conviction des petits jobs pourris, économise chaque dollar (chaque cent même) pour ne pas avoir à bosser, va (rarement) aux putes, fantasme sur le cul de la secrétaire d'une grande maison d'édition, et essaie tant bien que mal d'écrire son roman : LE BRANLEUR (c'est écrit en majuscules dans le roman, c'est pas moi qui crie).
Je ne sais plus où j'ai lu qu'il y avait quelque chose de Fante et de Bukowski chez Hilsenrath, en tout cas, c'est bien vrai. Une pincée de Primo Lévi aussi du coup. Et c'est ça qui est très étrange : Hilsenrath réussit le tour de force à nous faire bien marrer avec sa pauvre vie de cloche dans une Amérique qu'il déteste, et en même temps, derrière tout ça, il y a la Shoah (pas "derrière", en vrai, "autour" : le roman s'ouvre et se ferme sur le génocide).
C'est souvent grossier et presque toujours drôle.

La Mort du Roi Tsongor de Laurent Gaudé


Sophocle et Tolkien se disent un jour, comme ça : et si on racontait un truc qui se passe en Afrique. Ca donne LMDRT, de Gaudé : une sorte d'épopée antique sur fond africain. L'idée de départ est assez géniale, donc, mais le récit lui-même l'est un peu moins. Pas nul, non, même suffisament captivant pour qu'on le suive jusqu'au bout sans déplaisir, mais un poil chiant quand même, peut-être même un peu convenu. Il manque au roman de Gaudé qu'il quitte le strict cadre de l'épopée antique, que ses personnages s'humanisent un peu. Et puis un peu d'humour - oh, juste un brin - n'aurait pas fait de mal.

Terres de crépuscule de J. M. Coetzee


Deux nouvelles de Coetzee. Les deux premières publiées, si j'ai bien compris. Le Projet Vietnam ouvre le bouquin, mais je ne l'ai pas lu, parce que ça me branchait moyen. En revanche, la deuxième, Le Récit de Jacobus Coetzee, est un petit chef d'oeuvre coetzien : âpre, dur, violent, drôle. Il s'agit du pseudo témoignage de l'ancêtre de l'auteur sur son voyage dans le Nord. Un boer pur jus va chasser l'éléphant, dans des territoires non encore annexés par les blancs. Comme violent réquisitoire contre l'idéologie afrikaner, on ne fait pas mieux, et à mon avis, on trouve déjà dans ce récit toute la force de En Attendant les barbares. Coetzee est grand.


Ces trois livres m'ont été conseillés respectivement par Gael, Manu et Mézigues.

samedi 21 novembre 2009

En face

A Brazzaville, on est dans un autre pays : le centre-ville est propret, la circulation fluide, les gens marchent dans les rues tranquillement, les flics se font discrets, tout semble paisible.


Trop paisible d'une certaine manière, puisque le soir venu, on ne peut pas dire que la ville (du moins son centre) grouille d'activités (quelques restaus, un ou deux bars).
Le touriste que je suis peux visiter le fameux mausolée de de Brazza (qui était le point de départ d'Equatoria, le livre de Deville), la basilique Sainte-Anne ("symbole de l'architecture franco-congolaise de Roger Erell"), la case De Gaulle, l'école de peinture de Poto-Poto...

C'est bien, Brazza, on peut se promener à pieds, manger du bouillon de singe ou de porc-épic (je n'ai goûté ni l'un ni l'autre), boire une Primus "bière du pays" en regardant les rapides du fleuve Congo.

Ah ben oui, parce que si je lève les yeux, les immeubles de Kin' sont là, juste en face, à 1 ou 2 km, même pas. Je pourrais même apercevoir ma maison si j'étais moins bigleux.

Il faut donc 6 mn de bateau pour traverser le grand fleuve, et pour changer de monde - ou presque.

samedi 7 novembre 2009

L'école selon Werner.


B. M. me signale l'ouverture de l'école de cinéma la plus excitante du monde : le Rogue Film School de Werner Herzog.

Herzog est sans doute mon réalisateur de cinéma préféré, et je suis ravi de voir que son abbaye de Thélème est à la hauteur de sa réputation. La page d'accueil de l'école présente ainsi la nature de l'établissement :

"La Rogue film school n’est pas faite pour les chochottes. Mais pour ceux qui ont voyagé à pied, ont travaillé comme videurs dans des sex-clubs ou comme gardiens dans des asiles de fous. Pour ceux qui veulent apprendre comment faire de faux permis de tournage dans des pays qui ne veulent pas de leurs projets. En bref : elle est faite pour ceux qui ont un sens de la poésie. Pour ceux qui sont des pèlerins, ceux qui peuvent raconter une histoire à un enfant de quatre ans sans perdre leur attention. Pour ceux qui brûlent d’un feu intérieur. Pour ceux qui ont un rêve."

Plus loin, les objectifs pédagogiques sont annoncés clairement :

- Related, but more practical subjects, will be the art of lockpicking. Traveling on foot. The exhilaration of being shot at unsuccessfully. The athletic side of filmmaking. The creation of your own shooting permits. The neutralization of bureaucracy. Guerrilla tactics. Self reliance.
- Censorship will be enforced. There will be no talk of shamans, of yoga classes, nutritional values, herbal teas, discovering your Boundaries, and Inner Growth.

- Related, but more reflective, will be a reading list: if possible, read Virgil's "Georgics", read "Hemingway's "The short happy life of Francis Macomber", The Poetic Edda, translated by Lee M. Hollander (in particular the Prophecy of the Seeress), Bernal Diaz del Castillo "True History of the Conquest of New Spain".

- Follow your vision. Form secretive Rogue Cells everywhere. At the same time, be not afraid of solitude.

Ah bon dieu, c'est à vous donner envie de tout foutre en l'air, et d'aller rejoindre Werner !